KANT ET LA PEDAGOGIE

 

I- La vie de Kant

II- Sa pensée philosophique

III- Ses conceptions pédagogiques


I- La vie de Kant

+ Nom: Kant

+ Prénom: Emmanuel

+ Date de naissance: 22 avril 1724

+ Lieu de naissance: Koenigsberg (en Prusse orientale)

+ Parents: son père, Jean-George Kant, était artisan sellier (fabriquant de selles); sa mère, Anna-Régina Reuter, était très pieuse: ils donnèrent à leur fils une éducation exemplaire, fondée sur la probité, la rectitude et la piété.

+ Etudes: grâce à un ami de la famille, Franz Albert Shultz, théologien et prédicateur, Emmanuel a le privilège d'être admit au Collegium Fredericanum, un établissement nouveau, où spiritualité et travail sont marqués par une extrême rigueur.

Après ce rude apprentissage de la discipline scolaire, Emmanuel entre à l'université de Koenigsberg. Nous sommes en 1740, et il entreprend des études de mathématiques et de philosophie. Il étudie assidûment la doctrine de Leibnitz et le système de Newton, qui influenceront plus tard sa propre théorie de la connaissance (Cf. II- La pensée philosophique).

+ Activité professionnelle: en 1746, Emmanuel perd son père, ce qui l'oblige à suspendre ses études. Il trouve du travail comme précepteur: 1/ Tout d'abord, dans le foyer d'un pasteur, 2/ ensuite, dans différentes familles nobles de la Prusse orientale. Chez la comtesse von Keyserling, tout en éduquant ses enfants, il apprend d'elle en même temps l'art de la conversation polie. Ce qui lui sera très utile pour sa future carrière universitaire.

C'est en effet en 1755 que Kant fait son retour à l'université, mais comme professeur cette fois. Il y enseigne en tant que privat-dozen: c'est à dire professeur directement rétribué par les étudiants. Très apprécié, il peut vivre tout à fait à son aise. Il ne doit alors son succès qu'à ses qualités remarquables de pédagogue. Lisons plutôt l'éloge que fit de lui, Herder, un de ses étudiants:

"J'ai eu le bonheur de connaître un philosophe, qui fut mon maître. En pleine maturité, il avait cette vivacité d'un homme jeune, qu'il a gardé, je crois, jusqu'à l'âge le plus avancé. Son front dégagé, conformé pour la pensée, était le siège d'une imperturbable et joyeuse sérénité. Ses lèvres donnaient cours à la parole la plus riche de pensée. Il avait toujours en partage l'humour et l'esprit, et son enseignement était l'entretien le plus récréatif qui soit. L'histoire des hommes, des peuples et de la nature, les sciences naturelles, les mathématiques et l'expérience étaient la source où son enseignement et ses entretiens venaient puiser. Intrigues, sectes, privilèges, célébrité ne lui étaient d'aucun attrait au regard de l'expansion et du dévoilement de la vérité. Il éveillait et contraignait doucement à une pensée autonome. Le despotisme était étranger à son esprit. Cet homme dont je prononce le nom avec gratitude et respect, c'est Emmanuel Kant. Son image est douce à ma mémoire".

Après un tel éloge, qu'ajouter?

+ Carrière: Dès 1780, Kant fut comblé d'honneurs, qu'il accueillit avec la plus grande simplicité. Malgré de nombreuses sollicitations pressantes, il refusa toujours de quitter son université de Koenigsberg. Sa loyauté au lieu qui avait vu son succès lui valut un bonheur simple et une vie sans heurt.

+ Mort: A tel point que, le jour de sa mort, le 12 février 1804, il partit en prononçant ces mots qui résument toute une vie de droiture: "Es ist gut" (C’est bien).

 

II- La pensée philosophique

Cette partie est difficile: Kant n'est pas un des philosophes les plus abordables!

* Kant est reconnu pour l'un des plus grands philosophes de l'occident. Son maître ouvrage est La critique de la raison pure, rédigé de 1770 à 1780. Ce livre aura un très grand retentissement sur toute la philosophie du XIX° siècle.

* Dans cet ouvrage, Kant inaugure le criticisme, dont il donne la définition suivante:

"Je n'entends point par là une critique des livres ou des systèmes, mais celle du pouvoir de la raison en général considérée par rapport à toutes les connaissances auxquelles elle peut s'élever indépendamment de toute expérience" (préface de La critique de la raison pure).

Ce qui conduit l'auteur à conclure en l'impossibilité pour la connaissance de dépasser les limites qui lui sont imposées par la structure à-priori (pré-définie) de l'entendement humain et d'atteindre de ce fait l'absolu par la raison.

* Kant renonce ainsi à toute métaphysique, à toute dogmatique. Il ouvre dans la philosophie une brèche à travers laquelle s'engouffreront toutes les pensées relativistes et même athées.

* Jusqu'alors, la métaphysique était considérée comme la forme la plus élevée de la philosophie ( le préfixe méta- signifiant ce qui est au-delà du monde physique).

Chez Aristote (le grand philosophe grec, précepteur d'Alexandre le Grand - encore un philosophe pédagogue), la métaphysique est la philosophie première, c.à.d. la recherche des principes, des causes premières, l'étude de l'être en tant qu'être, la connaissance des choses divines.

Au Moyen-âge, Saint Thomas d'Aquin adaptera la métaphysique d'Aristote à la doctrine chrétienne: ainsi apparaît une méthode d'étude philosophique du monde divin et de ses réalités; méthode qui se distingue de la théologie (fondée quant à elle sur la révélation) parce qu'elle n'use que de la raison commune à tous les hommes.

D'où, avec Kant, l'apparition d'une opposition à la philosophie traditionnelle, lorsqu'il dit que la raison échoue à rendre compte de l'absolu. A partir de Kant, la raison deviendrait incapable d'atteindre l'absolu et de le comprendre.

Cependant, Kant, contrairement à ses successeurs après lui, ne rejette pas Dieu. Il pense au contraire, que la croyance en l'immortalité de l'âme et en Dieu, non moins qu'un objet de connaissance, demeure un acte de foi.

* La connaissance est-elle possible? Telle est finalement la question que pose Kant et qui l’obnubile.

Toute connaissance sensible suppose 2 conditions nécessaires: la perception de l'objet dans l'espace et le temps. Cependant, pour Kant, le temps et l'espace ne sont pas des formes indépendantes de l'esprit humain. Ce qui implique que les objets n'existent qu'en tant que perceptions de l'esprit humain, qui les reçoit dans le temps et l'espace par lesquels ils les recompose et les reconnaît.

"Appréhendant l'objet de la sensibilité ou de l'entendement, nous n'appréhendons que ce que nous y mettons. La connaissance de l'objet est alors la connaissance de soi par soi dans l'objet" (Hubert Hannoun, Anthologie des penseurs de l'éducation, PUF, -1995-).

C'est poser, - mais cela reste une théorie -, qu'il n'existe de loi que par notre esprit. Aucune loi n’existerait, à suivre Kant, dans la nature indépendamment de nous-mêmes.

On voit à quelles dérives athées, une telle critique de l'exercice de la raison a pu conduire. Et Kant le premier, lui qui était profondément croyant, aurait condamné, s'il l'avait su, l'interprétation nihiliste que ses successeurs donneront à son criticisme!

 

III- Ses conceptions pédagogiques

Dans le cadre de son professorat universitaire, Kant eut à enseigner la pédagogie, qui était inscrite au programme de l'université de Koenigsberg. C'est à partir de notes, prises par ses étudiants, que fut regroupée la pensée du maître dans le domaine pédagogique; compilation aujourd'hui connue sous le titre de Traité de pédagogie.

Voyons donc ce que Kant, qui eut à s'occuper d'enfants et ensuite d'étudiants, dit en matière de pédagogie.

* Tout d'abord, selon lui, la pédagogie n'est pas une mince affaire: "L'éducation est donc le problème le plus grand et le plus ardu qui nous puisse être proposé". Ce qui n'est pas une déclaration sans valeur dans la bouche d'un si éminent penseur.

* Kant précise cependant tout de suite que la pédagogie ne saurait être élevée au rang de science. Elle reste un art. " L’éducation est un art dont la pratique a besoin d’être perfectionnée par plusieurs générations ". Dans la droite ligne de sa critique de la connaissance, Kant conçoit l'éducation comme un art, et non comme une connaissance. C'est pourquoi il la lie résolument à l'expérience, et non à un savoir résonné à priori (c'est à dire pré-défini).

"On se figure qu'il n'est pas nécessaire de faire des expériences en matière d'éducation, et que l'on peut juger par la raison seule si une chose sera bonne ou non. Mais on se trompe beaucoup en cela, et l'expérience enseigne que nos tentatives ont souvent amené des effets tout opposés à ceux que l'on attendait".

* Ensuite, Kant croit au perfectionnement de l'humanité par l'éducation: "C'est dans le problème de l'éducation que gît le grand secret du perfectionnement de l'humanité". L'homme tire même selon lui son humanité de l'éducation: "L'homme ne peut devenir homme que par l'éducation"; étant entendu bien sûr que Dieu a fait l'homme libre, et donc qu'il revient à l'homme, suivant sa liberté, de sortir de son état sauvage, de s'arracher à son animalité. Mais l'homme seul ne peut rien pour améliorer son état. Ce qui implique le secours d'autrui.

* Dès lors, l'éducation est une question de transmission: "Une génération fait l'éducation de l'autre". D'où le danger qu'une génération mal formée n'en déforme à son tour une nouvelle: "Aussi le manque de discipline et d'instruction chez quelques hommes en fait-il de très mauvais maîtres pour leurs élèves". Et le progrès par l'instruction est d'autant retardé.

* De fait, selon Kant, une chose s'oppose principalement à l'épanouissement d'une bonne transmission de l'éducation: Le peu de soucis que les parents et les gouvernants ont de voir leurs ouailles progresser dans des domaines relatifs aux choses de l'âme:

"Un principe de pédagogie que devraient surtout avoir devant les yeux les hommes qui font des plans d'éducation, c'est qu'on ne doit pas élever les enfants d'après l'état présent de l'espèce humaine, mais d'après un état meilleur, possible dans l'avenir, c'est-à-dire d'après l'idée de l'humanité et de son entière destination. Mais deux obstacles se rencontrent ici: 1° les parents n'ont d'ordinaire souci que d'une chose, c'est que leurs enfants fassent bien leur chemin dans le monde, et 2° les princes ne considèrent leurs sujets que comme des instruments pour leurs desseins".

La transmission est un devoir, et de lui dépend la civilisation:

" Les particuliers doivent songer surtout au développement de l’humanité et veiller à ce qu’elle ne devienne pas seulement plus habile, mais aussi plus morale, et, ce qui est le plus difficile, à ce que la postérité puisse aller plus loin qu’ils ne sont allés eux-mêmes. "

* Autrement, d’après Kant, les différents moments de l’éducation sont les suivants: 1° dans la tendre enfance, il s’agit de laisser l’enfant libre dans tous les moments de sa découverte du monde (excepté, précise le philosophe, dans les circonstances où il peut se nuire à lui-même, comme par exemple s’il vient à saisir un instrument tranchant). 2° ensuite vient la période où l’enfant doit montrer de la soumission et de l’obéissance passive (C’est alors la discipline qui se borne à empêcher les fautes, en ce sens qu’il doit faire ce qui lui est prescrit, puisqu’il ne peut juger par lui-même et que la faculté d’imitation existe encore en lui). 3° durant la période suivante, il s’agit alors de lui laisser déjà faire usage de sa réflexion et de sa liberté, mais à la condition qu’il les soumette à des lois (Il faut lui prouver que la contrainte qu’on lui impose a pour but de lui apprendre à faire usage de sa propre liberté, qu’on le cultive afin qu’il puisse un jour être libre, c’est-à-dire se passer du secours d’autrui). 4° enfin, il faut que l’individu devienne autonome dans sa vie intellectuelle, c’est-à-dire qu’il pense par lui-même (il importe surtout qu’ils apprennent à penser).

* En ce qui concerne l’école, Kant, dans un siècle où tous les enfants ne font pas des études, est pour la généralisation de l’enseignement. Car selon lui, l’école est le meilleur moyen de de développer sa sociabilité, en éprouvant le besoin de se faire connaître tout en éprouvant l’obstacle de la liberté d’autrui (L’éducation publique a ici évidemment les plus grands avantages: on y apprend à connaître la mesure de ses forces et les limites que nous impose le droit d’autrui. On n’y jouit d’aucun privilège, car on y sent partout la résistance, et l’on ne s’y fait remarquer que par son mérite. Cette éducation est la meilleure image du citoyen à venir).

* Quant (Kant?) aux punitions et récompenses, d’une certaine manière, notre pédagogue est contre. Il s’en explique de la sorte: " Mais si on le punit, quand il fait mal, et qu’on le récompense, quand il fait bien, il fait alors le bien pour être bien traité; et, lorsque plus tard il entrera dans le monde où les choses ne se passent point ainsi, mais où il peut faire le bien et le mal sans recevoir de récompense ou de châtiment, il ne songera qu’au moyen de faire son chemin, et sera bon ou mauvais, suivant qu’il trouvera l’un ou l’autre plus avantageux ". Ce que Kant illustre avec l’exemple suivant: " lorsqu’un enfant ment, on ne doit pas le punir, mais le traiter avec mépris, lui dire qu’on ne le croira plus à l’avenir ". On saisit bien la nuance et tout l’art du pédagogue Emmanuel Kant.

Voilà donc un rapide survol de la pensée du grand philosophe allemand en matière d’éducation. Il est remarquable de voir qu’un homme aussi passionné et submergé par les questionnements métaphysiques ait pris le temps de s’interroger sur les problèmes pédagogiques; et non pas seulement de façon théorique, mais aussi au quotidien à travers l’élaboration de son enseignement. De plus, Kant suivit de manière très minutieuse les tentatives de Basedow et de son collège expérimental de Dessau, où l’on essayait alors de mettre en place un enseignement adapté et prometteur. Expérience que Kant encouragea, lui qui déclarait qu’ il est doux de penser que la nature humaine sera toujours mieux développée par l’éducation et que l’on peut arriver à lui donner la forme qui lui convient par excellence. Cela nous découvre la perspective du bonheur futur de l’espèce humaine.